mardi 24 février 2015

Une incitation à la destruction

De la Démonomanie des Sorciers, Jean Bodin, 1580.

L'ignorance et la superstition ont toujours un rapport étroit et même mathématique entre elles. - James Fenimore Cooper

La présence de la sorcière dans la société n’a pas toujours été un problème majeur. La peur des forces du mal et la superstition, par contre, ont été à cette époque les déclencheurs de la grande chasse aux sorcières en Europe. Une paranoïa s’est installée dans les esprits et a été alimentée.
La religion était l’une des premières causes et raisons de l’éradication des sorcières en Europe. L’Inquisition s’en est d’abord chargée en étant la police de l’Eglise puis un ouvrage a été publié en 1484, Le Marteau des Sorcières sous la direction du Pape Innocent VIII. Le livre fera autorité dans la lutte contre les sorcières, il sera accepté par tous les dévots de l’Eglise que ce soit des catholiques ou des protestants. « Le livre le plus féroce […], le plus nuisible de toute l’histoire de la littérature. », comme il est décrit aujourd’hui, présentait des arguments théologiques et juridiques contre la sorcellerie et incitait  à supprimer l‘existence des sorcières,  en donnant des directives pour les repérer et les éliminer.

Jean Bodin est l’auteur du galvaudage de la sorcière nommé Démonomanie des Sorciers. Ce jurisconsulte, économiste, philosophe et théoricien politique français né en 1529 à Angers et mort en 1596 à Laon est connu pour avoir introduit les concepts de souveraineté : Puissance de commandement, puissance absolue, puissance indivisible, puissance perpétuelle. Ainsi que la théorie quantitative de la monnaie ; théorie économique fondée sur la relation de causalité entre la quantité de monnaie en circulation et le niveau général des prix. On cite souvent son aphorisme : «  Il n’est de richesses que d’hommes. ». 


Portrait de Jean Bodin



Alors que la France se déchire à cause des nombreuses guerres de religions entre les catholiques et les protestants ainsi que la reprise en 1560 de la grande chasse aux sorcières du fait des troubles liées à la Réforme protestante, Jean Bodin publie son premier livre de la Démonomanie des Sorciers en 1580. 


Première de couverture De la Démonomanie des Sorciers


Cette Démonomanie des Sorciers est composée de quatre livres divisés en chapitres. Dans le premier, Bodin établit une définition du sorcier. Dans le deuxième, il traite de la magie en général et des relations que les sorciers entretiennent avec les démons. Il essaie de prouver que ceux-ci ont de réels pouvoirs. Dans le troisième, Bodin explique les maléfices que les démons et les sorciers opèrent et donne les moyens de les éviter. Et finalement dans le quatrième, il traite des preuves requises pour avérer le crime de sorcellerie et expose les peines infligées aux sorciers. Il explique également comment interroger les suspects par la torture. Dans cet ouvrage, Bodin préconise l'élimination en masse des sorciers. En cela, il s'oppose à Jean Wier comme il le fait savoir à la fin de son livre dans un chapitre intitulé « Réfutation des opinions de Jean Wier. »

Jean Wier était un médecin et opposant à la chasse aux sorcières. Il a écrit Des illusions des Démons qui s’opposent au Marteau des Sorcières.


Première de couverture Des illusions des Démons
Portrait de Jean Wier




                                      
                   
Mais cette époque est aussi connu pour avoir vu l’Humanisme prendre une place importante en France, Jean Wier ne sera donc plus le seul à s’opposer à cette pratique inhumaine qui a fait et fera encore perdre de nombreuses vies innocentes.
Malgré le siècle qui sépare Marteau des Sorcières et la Démonomanie des Sorciers, une même pensée est communiquée. Il n’existe alors pas d’évolution de la vision de la sorcière durant ces siècles. Le changement principal serait l’absence de religion dans les ouvrages de Bodin.
Maintenant appuyons nous sur les textes de Jean Bodin ; ci-dessous se présente les différents livres et chapitres de la Démonomanie des Sorciers :

SOMMAIRE DES CHAPITRES.

LIVRE PREMIER. 
CHAP. I. La définition du Sorcier. 
CHAP. II. De l'association des Esprits ou/et les hommes. 
CHAP. III. La différence entre les bons et malins Esprits. 
CHAP. IIII. De la Prophétie et autres moyens divins pour savoir les choses occultes. 
CHAP. V. Des moyens naturels et humains, pour savoir les choses occultes. 
CHAP. VI. Des moyens illicites pour parvenir aux choses qu'on prétend. 
CHAP. VII. De la Teratoscopie, Aruspicine, Orneomantie, Horoscopie, et autres semblables.

LIVRE SECOND. 
CHAP. I. De la Magie en général. 
CHAP. II. Des invocations tacites des malins Esprits. 
CHAP. III. Des invocations expresses des malins Esprits. 
CHAP. IIII. De ceux qui renoncent à Dieu par convention expresse, et s'ils sont transportés dans un corps par les Démons. 
CHAP. V. De l'Ecstase andravissement des Sorciers, et des fréquentations ordinaires qu'ils ont avec les Démons. 
CHAP. VI. De la Lycanthropie, et si les Esprits peuvent changer les hommes en bêtes.
CHAP. VII. Si les Sorciers ont copulation avec les Démons.
CHAP. VIII. Si les Sorciers peuvent envoyer les maladies, stérilisés.

LIVRE TROISIEME
CHAP. I. Les moyens illicites d'obéir aux charmes et à la Sorcellerie.
CHAP. II. Si les Sorciers peuvent assurer la santé des hommes allè 7gres, et donner guérison aux maladies.
CHAP. III. Si les Sorciers peuvent avoir par leur métier, la faveur des grands, la beauté, les plaisirs, les honneurs, les richesses, et les savoirs, et donner fertilité.
CHAP. IIII. Si les Sorciers peuvent nuire aux uns plus qu'aux autres.
CHAP. V. Des moyens illicites, desquels ont use pour prévenir les charmes, et maléfices, et guérir les maladies.
CHAP. VI. De ceux qui sont assiégés et forcés par les malins Esprits, et les moyens de les chasser.

LIVRE QUATRIEME.
CHAP. I. De l'Inquisition des Sorciers.
CHAP. II. Des preuves requises pour avérer le crime de sorcellerie.
CHAP. III. De la confession volontaire, et force que font les Sorciers.
CHAP. IIII. Des présomptions contre les Sorciers.
CHAP. V. Des peines que méritent les Sorciers.
Réfutation des opinions de Jean Wier       
                                                      
Le premier livre pose une définition péjorative de la sorcière par Bodin. Il explique en sept parties ce qu’est une sorcière et fait part des moyens pour le reconnaitre. Ci-dessous est présenté un extrait du premier chapitre du livre premier : La définition du sorcier :

LA DEFINITION DU SORCIER. CHAPITRE PREMIER. SORCIER est celui qui par moyens Diaboliques sciemment s'efforce de parvenir à quelque chose. J'ai posé cette définition qui est nécessaire non seulement pour entendre ce traité, mais aussi pour les jugements qu’il faut rendre contre les Sorciers, ce qui a été omis jusqu’ici, de tous ceux qui ont esprit des Sorciers, et néanmoins c'est le fondement sur lequel il faut bâtir ce traité. Déduisons donc par le menu notre définition, Premièrement j’ai mis le mot, Sciemment: puis qu'il est ainsi que l'erreur ne peut emporter aucun consentement, comme dit la loy1(loi): tellement que le malade qui use de bonne foi d'un précepte Diabolique à luy baillee par le Sorcier, qu'il pensait être homme de bien, n'est point Sorcier, car il a juste cause d'ignorance: Mais non pas si le Sorcier lui déclare, ou s'il invoque les malins Esprits en sa présence, comme il se fait quelques fois: Ce que j’ai mis seulement pour exemple, et qui sera plus amplement déclaré cy après en son lieu. Mais il faut savoir quels sont les moyens Diaboliques.

Le passage important de cet extrait est la deuxième partie. Jean Bodin écrit et explique qu’un sorcier n’en est vraiment un que lorsqu’il est consentant et invoque les malins Esprits. On peut déduire alors que la réflexion de Bodin n’a pas été globale. Il exprime dans ce passage le fait qu’il existe deux sortes de sorcières et qu’une seule de celles-ci est fautive et condamnée. On peut aussi voir que dans ses premières phrases, Jean Bodin exprime son partie dans la chasse aux sorcières en écrivant : « mais aussi pour les jugements qu’il faut rendre contre les Sorciers ». La définition qu’établit Jean Bodin se présente comme étant  une introduction de son ouvrage. Il ouvre le débat en partageant son avis sur les sorcières.
Ensuite son deuxième livre parle de la magie en général et des différents liens que les sorcières ont avec les démons. Jean Bodin, dans les derniers chapitres de son second livre, formule la possession de réels pouvoirs pour les sorcières.
Le troisième livre reflète les nombreux maléfices que les sorcières et malins Esprits opèrent. Jean Bodin alors émet des possibilités de les éviter en partageant ses savoirs à propos de ces maléfices.
Pour finir, le dernier livre fait office de conclusion. Bodin fait part des jugements, procès et peines que les sorcières peuvent endurer et donc s’oppose à Jean Wier. C’est alors qu’on retrouve un dernier chapitre où Bodin réfute les idées de Wier.
Bodin exprime les opinions de son temps : il croit aux pactes entre les sorcières et les démons, à l'évocation des morts et à la copulation charnelle avec les démons ; il préconise donc la torture et l'élimination en masse des sorciers.

La Démonomanie des Sorciers est l’un des premiers ouvrages discutant de l’existence des sorcières. Jean Bodin étant contre mais affirmant qu’elles existent vraiment transmet une peur mais aussi un sentiment de rejet. Ce mouvement de normalisation en vue de l’existence des sorcières et des esprits permet une progression de la Renaissance.  Cet ouvrage justifie la persécution qui sera massive entre 1560 et 1580. A cette époque les principaux accusés de sorcellerie étaient à 80% des femmes, mais aussi des juifs, des homosexuels, des marginaux ainsi que des sans-abris. La sorcellerie reviendrait-elle donc à une sorte de discrimination ? La sorcellerie créa une fracture sociale ainsi que des rangs sociaux mais aussi une différence raciale. La discrimination s’installa en France comme en Europe. Tout le monde pouvait être accusé de sorcellerie simplement parce qu’ils étaient différents.

En conclusion, ce traité de démonologie prouve à quel point le phénomène de la chasse aux sorcières, bien qu’il nous semble irrationnel aujourd’hui, était concret pour les gens de la France des XVe et XVIe siècles, en particulier pour les savants. La croyance en la sorcellerie est due aux mentalités comme on peut le voir avec la Démonomanie des Sorciers qui a connu un réel succès pendant la grande chasse aux sorcières. L’ouvrage de Jean Bodin est l’un des plus importants au sujet des sorcières, il préconise leur éradication en laissant croire au peuple français l’existence de celles-ci. Cette opinion transmise par des ouvrages d’hommes de confiance et de savoir est à l'origine de la discrimination qui sépara la France et l’Europe. 

"Sabbat des sorcières sur le mont Brocken", Mikael Herr, 1650

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