mardi 24 février 2015

La sorcière face à la raison des Lumières

L'encyclopédie, Diderot et d'Alembert, 1ère édition 1751

La superstition est à la religion ce que l'astrologie est à l'astronomie, la fille très folle d'une mère très sage. - Voltaire

Voici notre second exemple, celui de l'Encyclopédie de Diderot. Nous avons choisi de traiter les articles concernant les sorcières et la sorcellerie. Mais d'abord, faisons un petit point, qui nous semble crucial: qui est Diderot et qu'est-ce que l'Encyclopédie?

Pour commencer, Denis Diderot est né le 5 octobre 1713 à Langres et est mort le 31 juillet 1784 à Paris. C’était un écrivain, philosophe et encyclopédiste français. Il fait parti du mouvement des Lumières.  Il laisse son empreinte dans l'histoire de tous les genres littéraires auxquels il s'est essayé : il pose les bases du drame bourgeois au théâtre, révolutionne le roman avec Jacques le Fataliste, invente la critique à travers ses Salons et supervise la rédaction d'un des ouvrages les plus marquants de son siècle, la célèbre Encyclopédie

Portrait de Diderot

Ensuite, l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers est un ouvrage où l’on traite de toutes les connaissances humaines dans un ordre alphabétique ou méthodique. C’est aussi la toute première encyclopédie française, ce qui représente une réelle avancée. Le premier volume est paru le 1er juillet 1751 et dix volumes seront publiés au cours du XVIIIè siècle. Les auteurs principaux de ces ouvrages sont Diderot et d’Alembert, bien que de nombreux autres encyclopédistes des Lumières y ai pris part.

Première de couverture de l'Encyclopédie 

Les Lumières : Les Lumières sont un mouvement intellectuel européen du XVIIIème siècle (1715-1789). Ce mouvement met en avant les connaissances afin de dépasser ce qu’ils appellent l’Obscurantisme.
Obscurantisme : Opposition à la diffusion de l’instruction, de la culture, au progrès des sciences, à la raison, en particulier dans le peuple


·       Contexte historique fin 18ème siècle 

Le XVIIIème siècle est le siècle des Lumières et des Guerres, un changement radical est visible en France. Tout d’abord la France, sous le règne de Louis XV, est touchée par la famine et des guerres comme l’Autriche et la France pendant la guerre de succession (1740-1748) ainsi que la France et l’Angleterre durant la guerre de Sept ans à cause des rivalités coloniales, l’Angleterre se fait ensuite aider par la Prusse (1756-1763). Le peuple est de plus en plus en proie à revendiquer de manière massive et agressive, l’opinion publique est à l’accru avec les lieux de débat. Une hiérarchisation se créer : les nobles, les ecclésiastiques, les roturiers et marchands et manufacturiers. La France subit alors une fracture sociale et une rébellion durant ce siècle mais on constate aussi la présence considérable des Lumières ; de nombreuses Académies ouvrent durant cette période. Pour vous donnez une idée : en Province, il y a neuf académies en 1710 contre 35 en 1789. Les Lumières sont marquées surtout par l’apparition de l’Encyclopédie  qui se situe dans un contexte de renouvellement complet des connaissances comme par exemple la représentation du monde communément admise au Moyen Âge a été progressivement remise en cause par l'émergence au XVIe siècle du modèle héliocentrique de Copernic défendu au XVIIe siècle par Galilée à la suite de ses expérimentations avec sa fameuse lunette astronomique (1609). Les théories de Newton furent diffusées dans les années 1720 - 1730 par Maupertuis hors d'Angleterre, puis par Voltaire en France.
La nouvelle science astronomique nécessitait des expérimentations et un formalisme mathématique qui étaient étrangers à la méthode scolastique encore en vigueur dans les universités. L'astronomie avait besoin du secours des mathématiques et de la mécanique pour sa théorisation. À terme, la plupart des sciences étaient touchées par ce changement, que le philosophe des sciences Thomas Kuhn appela une révolution scientifique. On peut voir avec ces exemples que l’Encyclopédie comme les Lumières ont causé des débats mais aussi des changements et une évolution, les universités seront de plus en plus côtoyées.
L'immense travail entrepris par l'équipe des encyclopédistes sera expliqué par d’Alembert dans le Discours préliminaire de l'Encyclopédie. Il critiqua sévèrement les abus de l'autorité spirituelle dans la condamnation de Galilée par l'Inquisition en 1633 en ces termes :
« Un tribunal (...) condamna un célèbre astronome pour avoir soutenu le mouvement de la terre, et le déclara hérétique (...). C'est ainsi que l'abus de l'autorité spirituelle réunie à la temporelle forçait la raison au silence ; et peu s'en fallut qu'on ne défendit au genre humain de penser. »

L'encyclopédie fournit une compilation des connaissances de l'époque dont la cohérence était obtenue par la riche documentation des articles d'astronomie, et les renvois vers des articles de différentes disciplines. De telles connaissances étaient difficiles à transmettre comme à être acceptées.

Passons à présent aux deux définitions que nous avons choisi d’étudier, à savoir : la définition de « Sorciers et Sorcières » dans un premier temps et dans un second temps, la définition de « Sorcellerie »

Définition "Sorciers et Sorcières", L'encyclopédie,Diderot et d'Alembert, 1ère édition 1751 (tome 15, pages 369-372) Texte entier, cliquez ici.

(Vous pouvez retrouver des informations sur les noms en gras à la fin de cette étude.)

Dans cette première définition, Diderot rédige la définition des Sorciers et Sorcières en plusieurs parties successives. Nous allons résumer en quelques phrases les paragraphes et les commenter quand besoin est. Dès la première phrase, il donne une définition courte et concise de ces êtres magiques et d’un même fait, prend automatiquement position. Il dit : « hommes & femmes qu’on prétend s’être livrés au démon, & avoir fait un pacte avec lui pour opéré par son secours des prodiges & des maléfices. », Diderot donne ici une première opinion des sorcières à l’aide du verbe «prétendre » qui montre qu’il n’y croit pas, que ce n’est pas un fait vérifié.
Suite à cette phrase, Diderot rédige un premier paragraphe sur l’origine des sorcières et des autres noms qui lui sont donnés dans d’autres religions, par exemple les Grecs les appelaient goétiques.
Le paragraphe suivant nous paraît plus intéressant ; l’auteur commence par dire : « Les anciens ne paroissent pas avoir révoqué en doute l’existence des sorciers », et continue en disant qu’il « paroit difficile de recuser le témoignage de plusieurs historiens d’ailleurs véridiques ». Mais c’est la dernière phrase qui soulève un point important : « D’ailleurs pourquoi tant de lois sévères de la part du sénat & des empereurs contre les magiciens si ce n’eussent été que des imposteurs & des charlatans propres tout au plus à duper la multitude, mais incapables de causer aucun mal réel & physique ? », en d’autres termes, pourquoi y aurait-il des lois aussi dures à l’encontre des sorcières si celles-ci n’étaient pas réelles ou n’étaient que des usurpatrices.
Dans les paragraphes quatre et cinq, Diderot cite les différentes références aux sorcières dans les textes sacrés. Cela se poursuit dans le sixième paragraphe bien qu’il y ait une nuance et qu’il finisse par parler des jurisconsultes et théologiens anglais et en particulier Vossius qui « remarque que ceux qui ne sauroient se persuader que les esprits entretiennent aucun commerce avec les hommes, ou n’ont lu les saintes Écritures que fort négligemment, ou, quoiqu’ils se déguisent, en méprisent l’autorité. »
Ce n’est que dans le paragraphe sept, que Diderot parle explicitement de la raison. Il dit que si on admet l’existence des sorcières, il faudrait alors admettre l’existence de d’autres faits surnaturels et donc que tous ces faits ne sont pas forcément l’œuvre de Dieu. Cependant, il exprime le fait qu’on peut croire à des interventions magiques, mais qu’il ne faut pas en abuser et croire à tout et n’importe quoi et finit sur cette phrase : « Examiner & peser les faits, avant que d’y accorder sa confiance, c’est le milieu qui indique la raison. ».
Des paragraphes huit à onze, Diderot cite Malbranche qui dénonce les « rêveries » des démonographes ainsi que l’existence de vrais sorciers et des sorciers par imagination. Il explique que le problème, c’est que personne ne fait la différence entre ces deux types de sorciers et que, de ce fait, on brûle beaucoup trop de personnes ce qui ne fait que fortifier les croyances des gens concernant les sorcières. Il insiste aussi sur le fait que les sorciers par imagination sont en beaucoup plus grand nombre que les vrais sorciers et qu’en « punissant indifféremment tous ces criminels, la persuasion commune se fortifie, les sorciers par imagination se multiplient, & ainsi une infinité de gens se perdent et se damnent. »
Nous passerons rapidement les paragraphes douze, treize et quatorze où Diderot cite Monstrelet qui lui-même parle de différentes affaires ayant eu lieu concernant des sorcières. Les paragraphes quinze et seize, sont, pour nous, plus intéressants car ils évoquent Jean Bodin, qui est notre premier exemple pour ce TPE sur les sorcières. Le paragraphe seize évoque le cas du sorcier nommé Trois-Échelles, qui fut exécuté en 1571, pour avoir eu commerce avec les mauvais démons. Afin de se faire gracier, le sorcier accusa d’autres sorciers et sorcières, au nombre de « douze-cent » selon Mézerai. Mézerai dénonce les démonographes qui voient le diable et les sorciers/sorcières partout. Bien sûr comme le dit Diderot « L’auteur que Mézerai ne nomme point, mais qu’il désigne comme un démonographe, c’est Bodin. »
Effectivement, Jean Bodin parle dans son ouvrage de plus de trois cents mille sorciers en France, ce qui est un nombre qui, aux yeux de Mézerai est très prodigieux. Pour en revenir au sorcier Trois-Échelles, les personnes qu’ils avaient citées s’avérèrent n’être rien d’autre que de simples mortels, les poursuites et la délation furent arrêtées et c’est ce dont se plaint Bodin tandis que Bayle, à l’opposé, approuve la suppression de cette délation.
Dans les paragraphes suivants (dix-sept, dix-huit, dix-neuf, vingt et vingt et un), Diderot enrichi ses propos par de nombreux exemples de procès et de faits magiques qui se sont déroulés.
Pour finir dans le vingt-deuxième et dernier paragraphe, Diderot soulève un dernier point. Il s’étonne que des personnes soient disant sorciers ou sorcières, avec les nombreux pouvoirs auxquels ils ont accès, n’aient jamais essayer de faire de mal à leurs accusateurs et leurs juges. Diderot dit : « Car on ne donne aucune raison satisfaisante de la cessation de ce pouvoir dès qu’ils sont entre les mains de la justice. »
Finalement, de nombreuses thèses sont évoquées dans ce texte et Diderot, en bon philosophe des Lumières, prône la raison et n'exclue aucune possibilité en examinant et pesant les différents faits.

Isaac Vossius: Érudit et bibliophile néerlandais du XVII ème siècle, ayant résidé en Angleterre. Fils du théologien Gérard Vossius. 
Nicolas Malbranche: Philosophe, prêtre oratorien et théologien français du XVII ème siècle, considéré comme un cartésien.

Définition "Sorcellerie", l'Encyclopédie, Diderot et d'Alembert, 1ère édition 1751 (tome 15, pages 368-369) Texte entier, cliquez ici.

Dans la définition de SORCELLERIE, nous pouvons retrouver des aspects qui démontrent le changement radical de penser et de mentalité durant ce siècle. Diderot illustre le mot Sorcellerie par des exemples historiques tel que la maladie de Charles VI.

Dès la première phrase Diderot explique ce qu’est la sorcellerie : opération magique, honteuse ou ridicule, attribuée stupidement par la superstition, à l’invocation & au pouvoir des démons. Les mots employés sont péjoratifs et nous dévoilent immédiatement son opinion envers la sorcellerie comme les sorcières. Il enrichit son avis en écrivant « Une malheureuse devineresse, & un prêtre imbécile ou scélérat qui se disoit sorcier, furent brûlés vifs pour cette prétendue conspiration. » dans une troisième partie.
Ensuite il communique dans un paragraphe que les personnes qui parlent de sortilèges et de maléfices sont ceux qui viennent de pays et de temps d’ignorance donc sans savoir. C’est de là que l’on interprète la raison dans le récit de Diderot. Dans une cinquième partie de la définition Diderot parle du temps où la raison naissante était présente en France grâce à la déclaration de Louis XIV où est évoqué le fait que les personnes accusées de sorcellerie ne seront plus que des profanateurs ou simplement des personnes utilisant le poison. 
Malgré la raison se propageant en France, la peur de la sorcellerie est encore présente comme on peut le justifier lorsque Diderot aborde le pacte que les enfants de Voltaire ont fait : « Les enfants de (…) Voltaire, firent alors entre eux une association par écrit, & se promirent un secours mutuel contre ceux qui voudroient les faire périr par le secours de la sorcellerie. » La menace est alimentée par les frustrations et superstitions des personnes. Les accusations de sorcellerie sont fréquentes et courantes. Cette opération magique devient presque l’excuse ou la cause du bonheur des autres comme nous le montre Diderot lorsqu’il évoque l’histoire de l’esclave affranchi de l’ancienne Rome qui obtient une petite terre fertile que son maitre lui avait laissé. En quelques mots, l’esclave affranchi avait attiré sur lui l’envie de ses voisins qui l’avaient accusé de sorcellerie. L’esclave avait alors été condamné et tué à tord. De par cette histoire raconté par Diderot, nous pourrions rajouter que les accusations de sorcellerie sont apportées par rapport au rang social de la personne menaçante ; aujourd’hui ce serait un acte de discrimination. Les victimes ou menacés de sorcellerie sont le plus souvent des rois, duchesses ou même prêtres, ce qui prouve alors la, supposée, jalousie de l’accusé. De plus, Diderot évoque un philosophe du XVII siècle a qui une question a été posé sur l’importance des sorciers dans le nord et la Peyrere répondit : parce que le bien de tous ces prétendus sorciers que l’on fait mourir, est en partie confisqué au profit des juges. On pourrait traduire cela comme le fait que les juges avaient en leur nom un simple pouvoir et une raison qui faisait que les personnes voyaient forcément les sorciers, accusés à tord ou non, comme des personnes faibles et à tuer. Ce même pouvoir est prouvé dans l’histoire du romain qui fut tué à tord : « Les suffrages ne furent point partagés ; il fut d’une commune voix »
Diderot émet aussi le fait que le magicien n’est pas perçu de la même manière que le sorcier. Le magicien peut guérir tandis que le sorcier est une menace. On peut mettre en parallèle la magie noir et blanche.
Diderot prône la raison avec cette définition par des mots bruts en parlant de la sorcellerie et aborde l’importance qu’avait le rang social de l’accusé ainsi que du pouvoir imminent des juges.


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